La dysphagie neurologique : un trouble encore trop méconnu
Ils étaient en train de dîner tranquillement, et soudain, André s’est mis à tousser violemment. Une simple bouchée de purée semblait lui avoir coupé le souffle. Sa fille, inquiète, a d’abord cru à un « faux mouvement », mais les épisodes se sont répétés. Bientôt, les repas sont devenus une source d’angoisse plutôt que de plaisir. Ce que vivait André avait un nom que peu connaissent : la dysphagie neurologique.
Ce trouble, courant chez les personnes âgées, touche la déglutition. Il peut transformer un moment aussi quotidien qu’un repas en véritable épreuve. Comprendre ses origines et savoir adapter l’alimentation peut tout changer : apaiser, soulager… et redonner au repas ses lettres de tendresse.
La déglutition : un ballet complexe
Manger, avaler, boire… Cela paraît simple. Pourtant, c’est un processus sophistiqué mettant en jeu plus de 30 muscles et plusieurs nerfs. Ce ballet bien réglé peut se dérégler lorsqu’une atteinte neurologique survient – accident vasculaire cérébral (AVC), maladie de Parkinson, Alzheimer, sclérose en plaques, ou simplement les effets du vieillissement cérébral.
Dans ces cas, la coordination des gestes se trouble. La langue ne pousse plus correctement les aliments, le voile du palais devient moins efficace, ou encore, l’épiglotte ne parvient plus à protéger les voies respiratoires. Le résultat ? Une sensation de gêne, de toux, voire d’étouffement en mangeant. Et, plus insidieux encore, des fausses routes silencieuses (sans toux) peuvent entraîner des infections pulmonaires graves.
Quels signes doivent alerter ?
Les signes de dysphagie peuvent être discrets ou évident. En voici les principaux :
- Des quintes de toux ou une voix « mouillée » pendant ou après les repas
- Une perte de poids inexpliquée
- Des aliments ou liquides qui « coincent » souvent dans la gorge
- Une peur ou une réticence à manger
- Des pneumonies à répétition
Il ne faut jamais hésiter à consulter un médecin si l’on soupçonne ces troubles. Un avis spécialisé permettra d’évaluer la dysphagie et de mettre en place une prise en charge adaptée avec, si besoin, un orthophoniste spécialisé.
Adapter l’alimentation sans perdre le plaisir de manger
Adapter les repas ne signifie pas renoncer aux plaisirs de la table. Au contraire, en tenant compte des contraintes liées à la dysphagie, on peut proposer des plats à la fois sûrs, appétissants et savoureux. Voici quelques principes fondamentaux :
Texture et consistance : les clés du confort
Le bon choix de texture peut tout changer. En effet, certains aliments sont plus à risque d’entraîner des fausses routes. Il convient d’éviter :
- Les aliments secs ou friables (biscuits secs, pain rassis)
- Les textures mélangées (comme une soupe avec des morceaux non mixés)
- Les liquides clairs ou très fluides (l’eau, les jus non épaissis), qui descendent sans contrôle
À l’inverse, les textures épaissies ou homogénéisées sont souvent plus faciles à avaler. On distingue généralement plusieurs niveaux de texture selon les recommandations médicales :
- Aliments mixés lisses : purées homogènes, mousses, compotes
- Textures hachées : petits morceaux bien cuits, tendres, unifiés par une sauce
- Liquides épaissis : laitages onctueux, potages épaissis
Des épaississants alimentaires (à base de gomme ou d’amidon) permettent de modifier la consistance des liquides pour les rendre plus sûrs à boire.
Redonner de la gourmandise malgré les contraintes
Il est tout à fait possible de rester créatif en cuisine, même avec une alimentation adaptée. Quelques astuces simples permettent de conserver la variété et le plaisir :
- Jouer sur les couleurs : une purée de carottes orangée, un coulis de petits pois vif… L’œil stimule l’appétit !
- Utiliser des épices douces et des herbes : paprika, muscade, ciboulette, cannelle… elles apportent du goût sans nécessiter de mastication
- Présenter joliment les plats : avec des emporte-pièces, des couches superposées, ou en formant des quenelles
Chez certains patients, manger avec les mains est plus aisé. Dans ce cas, il existe des préparations spécialement conçues en portions à saisir (comme des galettes fondantes ou muffins salés), qui respectent les textures autorisées.
L’importance de l’environnement du repas
On l’ignore trop souvent, mais l’ambiance du repas influence beaucoup la qualité de la déglutition. Un cadre calme, sans télévision ni agitation, permet de se concentrer sur le geste. Voici quelques conseils bienveillants :
- Adopter une posture droite, avec les pieds au sol et la tête légèrement inclinée vers l’avant
- Servir les plats en petites quantités, pour éviter la fatigue
- Laisser le temps : un repas tranquille réduit les risques d’étouffement
- Encourager sans brusquer. Un regard rassurant vaut parfois plus que mille mots
Mettre en place ces habitudes peut transformer l’expérience du repas en moment serein et partagé.
Faut-il craindre la perte de poids ou la dénutrition ?
Il est vrai que la dysphagie peut entraîner une réduction de la prise alimentaire. Par peur d’avaler, certaines personnes préfèrent sauter des repas, grignoter à peine ou se rabattre sur des textures faciles mais pauvres en nutriments (compotes sucrées, bouillons).
Pour éviter la spirale de la dénutrition, il est important d’opter pour des aliments à haute densité énergétique et protéique :
- Ajouter du beurre, du fromage râpé, de l’huile d’olive dans les purées
- Utiliser du lait entier pour préparer soupes et boissons épaissies
- Intégrer des œufs, fromages fondus, poissons mixés aux recettes
Certaines crèmes enrichies, disponibles en pharmacie ou grandes surfaces, sont aussi très utiles. Un suivi avec un diététicien peut enrichir les choix au quotidien.
Le rôle précieux de l’orthophoniste
Souvent associé à la parole, l’orthophoniste est pourtant l’allié numéro un en cas de dysphagie. Il ou elle évalue la déglutition grâce à des bilans et met en place une rééducation adaptée. Ces séances sont précieuses : elles permettent au patient de retrouver des réflexes sécuritaires, de renforcer certains muscles, et d’adapter les gestes pour avaler en confiance.
À travers des exercices simples, réguliers, et parfois même ludiques, cette rééducation est un pas vers l’autonomie et le confort.
Un accompagnement qui porte ses fruits
Marie, 79 ans, souffre de Parkinson depuis quelques années. L’apparition de troubles de la déglutition a bouleversé ses repas : elle n’osait plus inviter ses amies, trouvait difficile de terminer son assiette, et redoutait même la simple gorgée d’eau. Grâce à une prise en charge coordonnée – médecin, nutritionniste, orthophoniste – et des modifications douces de son alimentation, elle a retrouvé le plaisir de manger. « C’est fou comme trois petits détails peuvent changer tout un repas », dit-elle aujourd’hui avec un sourire complice.
Accompagner avec douceur, adapter avec intelligence, observer avec attention : la dysphagie neurologique ne devrait pas être une fatalité. En s’entourant des bons conseils et avec une dose de patience, chaque bouchée peut redevenir une source de plaisir… et non d’inquiétude.




